Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/73

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Alors j’ai senti qu’un cri terrible me montait du cœur aux lèvres : Anathème ! à toi, blanc linceul de l’hiver, qui nous cache aux regards et les fleurs et les champs, et qui donne aux arbres dépouillés l’aspect de squelettes irrités, menaçant le ciel de leurs bras rigides.


***

Que vois-je là-bas, au pied du côteau ? une masure pantelante, au toit mal joint, aux fenêtres glacées par où nul rayon ne peut pénétrer à l’intérieur. Nous avançons plus près ; le seuil est franchi, on regarde et l’on voudrait pleurer.

Le vent d’hiver souffle par tous les pores de cette cabane aux bois mal assemblés ; la femme berçant le dernier né, ressemble aux malheureuses que la famine étiole ; les enfants se sont couchés sous de pauvres et sales guenilles, afin d’éviter l’engourdissement ; c’est à peine si le feu a de la vie, dans cette prison de fer qui crève à tous les coins ; le bois est trop loin, la neige trop épaisse, le froid mord les joues et les oreilles.

L’homme ? Il est mort épuisé, l’hiver d’avant, et l’été s’est passé à quémander dans le village : les marmots aimaient les grandes routes au soleil, les flâneries aux cueillettes de fruits et les courses dans les rangs où l’on trouvait de quoi nourrir tout le troupeau.

Mais avec l’hiver et le froid, la misère noire est venue ; la neige et la bise glacée ont jeté la désolation là où les jours d’été il y avait un peu de vie, un peu d’heures encore bonnes sous le beau ciel bleu de juillet.

Que dis-je ? N’ai-je pas vu sous les couvertures soyeuses et bien capitonnées, des corps émaciés où la vie ne tenait plus que par un fil ? n’ai-je pas entendu, durant les sombres nuits, de pauvres poitrines geindre sous l’effort désastreux d’une toux persistante que l’hiver rendait plus atroce ? n’ai-je pas essuyé de ces sueurs froides que la phtisie pulmonaire accroche aux tempes des jeunes filles et des jeunes femmes que l’approche de l’hiver faisait trembler jusqu’au fond de l’âme ? n’ai-je point senti comme une pointe acérée pénétrer dans tout mon être en écoutant les plaintes des victimes du froid et de la bise mortelle ? Ne suis-je pas resté muet de terreur, devant l’immense espérance de ces condamnés de la tombe, qui croient au retour