Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Le mois s’annonçait mal pour les pauvres marins qui se hasardent sur les flots à une époque aussi avancée. C’est le temps des naufrages ; sombres drames dont on ne connaît toute l’horreur que pour en avoir entendu parler quelquefois. La pauvre victime qui se sauve ne restera toujours qu’en deçà de la vérité en racontant les scènes désolantes d’une catastrophe en pleine mer.

Le malade de l’hôpital avait guéri. Frais et dispos, mais non désenchanté de la mer et de ses coups de traître, il prit encore du service et monta une nouvelle barque. Le marin meurt marin et rien, si ce n’est la paralysie, cette seconde mort, ou la maladie qui terrasse, ne le détourne de la carrière librement choisie et sincèrement affectionnée.

Il partit donc de Québec au commencement de novembre pour traverser les mers. Il partit au matin, par une forte brise du sud, un temps sombre et menaçant. La mer se lamentait douloureusement et le sifflement des drisses n’était pas très encourageant pour une oreille qui s’y connaît. La tempête était donc en préparation.

Dans le village, le Père H* scrutait l’horizon. L’heure était matinale et déjà des signes non équivoques se lisaient dans le ciel comme en un grand livre aux immenses feuillets. Rude temps, aujourd’hui ! dit le vieux, et il disparut sous le toit de sa demeure.

Vers le soir, la bourrasque après avoir soulevé le fleuve, après l’avoir ameuté et rendu furieux, se rua sur le village. La nuit se fit à bonne heure et les villageois rentrèrent, effarés, se chauffer au feu du foyer.

Les grands arbres pareils à d’énormes et gigantesques balanciers, oscillaient dans l’air chargé d’électricité. La rafale hurlait comme ces chiens errants qui flairent quelque part une dépouille mortelle ; elle avait parfois des hurlements de chouette surprise.

Le Père H* se leva lentement de sa chaise et ouvrit la fenêtre qui donnait sur la mer. Impossible de distinguer quoique ce soit. La tempête emplissait de sanglots la sombre maison et tous les enfants et la mère frissonnaient. Des branches vermoulues voltigeaient dans l’air et des arbres vaincus, terrassés,