Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/84

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ce soit. La tempête emplissait de sanglots la sombre maison trempée.

Les nuages, affolés, vertigineux, semblaient raser le sommet des arbres, et les outardes et les moignacs apeurés fendaient l’espace, gagnant les terres. La mer bouleversée les chassait de son sein. Quelquefois, dans une espèce d’apaisement de la nature en furie, la grave et grandiose rumeur des vagues se brisant sur les rochers de l’île au large, arrivait à son oreille comme un bruit formidable de tonnerre qui éclate. Assurément, c’était une triste, une horrible tempête dont on devait entendre parler.

Le Père H* restait muet, et pourtant ses jambes tremblaient. Je ne sais quelle force mystérieuse le rivait là, dans ce carreau de vitre, l’œil sur la mer qu’il ne voyait pas, mais qu’il pressentait. Il lui semblait entendre dans ces voix hurlantes du fleuve en fureur une voix qui ne lui était pas inconnue.

Femme, dit-il tout à coup. Je crois que l’on lutte et désespère sur le fleuve, en face.

— Tu crois ?

— Oui ; mon oreille encore bonne semble distinguer des sons de voix humaines, viens écouter !

Et le Père, ô miracle, avait dans l’accent de sa parole une douceur étrange qui surprit sa vieille et lui mit à l’œil une larme bien douce subitement effacée du revers de la main.

La vieille s’approche et elle sentit sur son épaule la main tremblante du vieux marinier.

— Écoute, dit-il, n’entends-tu pas ?

— Elle écoutait, la pauvre femme, et n’entendait rien.

Allons ! Je veux me tromper, mais mon oreille n’a pas coutume de faillir. Pourvu que ce ne soit pas mon garçon qui lutte !

— Comment, dit la mère, notre fils n’est-il pas encore à l’hôpital ?

— Non, j’ai vu par le journal qu’il devait monter une barque pour traverser la mer. Allons ! ma vieille, prie un peu pour ceux qui seront éprouvés cette nuit et demain matin.

Oh ! comme elle pria en pleurant de joie, la pauvre mère, car son mari ne lui revenait-il pas ?