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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/134

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il pas vrai ? qu’il est fort amoureux. Eh bien, non ; je crois, en y réfléchissant, qu’il y a lieu de croire à une certaine diminution d’amour de sa part. Lorsque j’entends l’un d’eux me dire de sa femme : « C’est un trésor, mon cher, il faut la connaître, etc., etc., » je crois voir un homme qui souffle sur un tison qui s’éteint. Quand le feu flambe, on se chauffe et on ne dit rien.

Or, pour vous dire toute la vérité, Raoul commençait à souffler son feu. Les douceurs mêmes qui l’avaient enivré il y a neuf mois lui paraissaient maintenant un peu fades. Il trouvait autour de lui la température tiède, accablante, et lorsque sa femme venait tout doucement par derrière et l’embrassait au front, il commençait à s’apercevoir, ce qui ne lui était jamais arrivé, que cela le décoiffait, et il en était irrité. Il ne disait rien, ne se mettait point en colère, mais il était agacé ; d’autant plus que la charmante petite femme ne manquait pas, après son baiser, de lui fermer les yeux avec ses deux mains et de rire comme une folle.

« Voyons, Louise, disait-il, je suis en train de lire.

— Alors il faut dire : Ma petite femme, je t’adore, ou sans cela je ne lâche pas.

— Mais je t’ai dit cela cinq cents et tant de fois ! » Il enrageait au fond et disait rapidement : « Ma petite femme, je t’adore : la, je t’adore ; embrasse-moi ; c’est fini… tu es un ange… ôte les mains.

— Du tout, du tout, c’est de la contrebande, cela, il faut dire, Ma pe…ti…te femme, bien gentiment.

Ma pe-ti-te femme, répétait Raoul, en tapotant sur la table, je t’a… Je t’adore, la ; je ne me fais pas prier, tu ne diras pas que je me suis fait prier.

— Tu m’aimes donc toujours ?

— Parbleu ! mais je ne peux pas te le signer tous les quarts d’heure, sois juste. »

Et il ramassait son livre qui était tombé par terre en se refermant, de sorte qu’il cherchait pendant cinq minutes la page commencée. Cela le mettait de mauvaise humeur, et un quart d’heure après, en se mettant à table, tout naturellement, il trouvait le potage trop salé.

« Tiens, je ne trouve pas, moi, disait Louise.

— Et moi je le trouve, » répliquait Raoul en versant de l’eau dans son bouillon.

Il faut dire que la chère petite, qui croyait voir un parti pris chez