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« — Mais qu’avez-vous donc ? s’écrie Mme de Crivelin : vous êtes pâle, vous avez le visage renversé… Qu’y a-t-il ?

« — Rien, ma chère amie, rien ; mais, je t’en prie, laisse-nous ! »

« Mme de Crivelin céda, mais emportant avec elle une inquiétude qui gagna bientôt sa fille ; car Adèle ne dormait pas encore, et en voyant sa mère entrer chez elle, elle la questionna, et a l’effroi de Mme de Crivelin, à son inquiétude, elle se prit à trembler à son tour. Voilà donc ces deux pauvres femmes repoussées, renfermées dans le coin le plus étroit de leur splendide appartement, attendant avec inquiétude l’issue d’une conférence si inattendue, si bizarre, et qui avait si fort troublé M. de Crivelin. Avec qui était-il ? que disait-il ? et quel intérêt assez puissant le dominait, pour le forcer à donner une pareille audience à pareille heure ?

« Adèle voyait Jules de Formont mort ; Mme de Crivelin s’égarait dans un dédale de suppositions impossibles.

« Pendant ce temps, voici ce qui se passait dans la chambre où M. de Crivelin s’était enfermé avec le sale laquais.

« — Tu m’as donc reconnu, Eugène ? lui dit cet homme.

« — Toi ici ? lui dit M. de Crivelin ; toi vivant ?

« — Quand tu me croyais mort, c’est plaisant, n’est-ce pas ? Que veux-tu ? c’est comme ça. Fais-moi donner un verre de vin et une tranche de jambon, et tu verras que je ne suis pas un fantôme.

« — Voyons, Jules, ce n’est pas pour cela que tu es venu ; parle ! parle donc, malheureux !

« — Depuis six heures que je suis dans ton antichambre, je crève de soif et de faim, je veux boire et manger.

« — Qu’est-ce à dire ?

« — Je veux boire et manger. Allons, va me chercher ça toi-même, si tu as peur que ça ne salisse les mains de tes domestiques de me servir. »

« Crivelin baissa la tête et sortit. Un moment après, il rentrait avec un plateau qu’il plaçait devant l’ignoble goujat, et lui disait :

« — Maintenant, parle ; que veux-tu ? »

« Le nommé Jules se mit en devoir de manger, et commença ainsi :

« — Écoute, Eugène, voici ce que tu m’as écrit il y a dix-sept ans :


« Tu le vois, Jules, tes folies ont eu le résultat que je t’avais prédit. Du désordre tu es passé aux fautes, des fautes au crime, et maintenant