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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/174

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— Puis vient le lendemain amenant le repentir ; car elle l’aime, lui, ou plutôt la partie intelligente de Débora estime et aime l’amour de cet homme. Elle sait bien tout ce qu’il vaut, elle qui a appris, à la plus basse école, le peu que valent les autres, et elle se trouve indigne, ignoble, d’avoir ces souvenirs et ces regrets, et ces retours vers son vilain passé ; elle se sent faite pour être tout ce que son amant veut qu’elle devienne ; elle le rappelle, elle lui demande pardon, et elle recommence sa comédie ; elle se refait la femme charmante et distinguée qu’il aime, elle y met toute sa force, tout son amour ; elle s’y use encore une fois, le fil casse, et alors les scènes recommencent. Alors elle se sauve ; elle laisse son équipage pour monter dans un fiacre ; elle erre aux environs des places, et lorsqu’elle surprend un saltimbanque échangeant avec son compère un coup d’œil qui signale la dupe qu’il vient de faire, et qui montre la pièce blanche qu’il vient de lui escamoter, et avec laquelle on boira et rira a ses dépens ; lorsque la Débora voit cela, il prend à la riche et célèbre actrice des regrets farouches, et si jamais il lui arrive de pleurer, c’est à ce moment.

« Sur quoi pleure-t-elle ? sur sa fortune présente ? Quelquefois. Que pleure-t-elle ? sa misère passée ? Oui et non. L’ambition, l’intelligence, les désirs élevés sont d’un côté ; c’est pour les satisfaire qu’elle joue sa double comédie. Les habitudes, les turbulents souvenirs, le sang bohème, la licence de la pauvreté, les délires de la joie en haillons sont de l’autre, et c’est ce qui lui fait détester et la fortune qu’elle a acquise, et la gloire qu’elle mérite, et l’amour qu’elle donne, et l’amour qu’elle éprouve.

— Vous me permettrez de vous faire observer, voisin, que ce sont là des peines tout à fait imaginaires.

— Vous me permettrez de vous faire observer, mon cher voisin, que vous venez de dire une énorme sottise. Excepté la colique, et la fièvre, et les membres cassés, et la névralgie, tout est peine imaginaire à ce compte. Sachez donc une chose, c’est qu’on ne souffre réellement que par les idées. Mettez une drôlesse du coin de la rue à la place de Mme de Montès, et elle ne souffrira d’aucune des douleurs qui tuent cette pauvre femme. Mettez une fille de portière à la place de Débora, attiédissez cette nature dévorante, et elle n’éprouvera aucun des retours soudains qui la tourmentent ; ou bien abaissez la hauteur de son intelligence, et elle retournera à son passé, sans remords, sans regrets, sans