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braves gens, puisqu’ils sont pressés. Le premier pas des habitants de la terre dans notre monde est quelquefois divertissant, et, soit dit entre nous, l’enfer est un lieu assez peu récréatif pour qu’on ne néglige point de s’y distraire. — D’ailleurs, ajouta-t-il avec quelque gravité, il y a longtemps que nous n’avons eu de nouvelles de la terre, et nous ne serons pas fâchés de savoir ce qui s’y passe.

VI
un convoi d’ames.

Soudain entrèrent pêle-mêle, guidées par l’esprit qui les avait accompagnées depuis leur départ de la terre, pressées et comme des feuilles qu’aurait chassées un vent impétueux, des âmes de tout âge, de tout sexe et de tout rang, et il y en avait un si grand nombre, qu’on aurait eu de la peine à comprendre qu’elles pussent tenir dans la salle, si l’on n’avait su qu’elles n’étaient qu’apparence.

VII

Les unes entraient en pleurant, les autres en riant ; mais la plupart paraissaient si préoccupées de l’événement qui d’un monde les avait jetées dans l’autre, que quelques-unes ne remarquèrent même pas la présence de Satan.

« Pardieu disait d’un ton bourru une âme fort replète, c’est bien la peine d’être mort et de s’être fait enterrer, et d’avoir laissé là-haut ce qu’on avait de meilleur, c’est-à-dire son corps et ses appétits, pour se retrouver ici vivant comme si de rien n’avait été.

— Quoi dit un grand Turc qui arriva brandissant une queue de vache, quoi ! pas de houris ! Par Allah où sont les houris ?

— Pas une, illustre pacha, pas une seule, dit un vieux diable au Turc désappointé.

— Aussi, reprit le Turc, quelle idée ai-je eue de venir mourir en Europe ! dans l’enfer de mon pays, les choses ne se seraient pas passées ainsi.

— Le bel enterrement ! s’écriait un brave bourgeois en toisant ses voisins d’un air protecteur…