Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son bâton… Ah ! que ne suis-je une des filles de Milton ! J’irais bien me proposer à M. Goethe ; mais il faudrait savoir un peu de cuisine et beaucoup d’allemand. — Je crois bien qu’Ossian est mort. — Me voilà exposé aux tentations de la faim, qui me réduira peut-être à servir un auteur du cirque Franconi. »

À bout de ses lamentations, et bientôt à bout de ses cinquante louis, Toby entra chez un fort parfumeur. — Le premier jour, il colla des étiquettes sur des pots de pommade ; — le second jour, il colla des étiquettes plus grandes sur des pots plus majestueux que ceux de la veille ; — le troisième jour, il mit sa tête dans ses deux mains et tomba dans une profonde rêverie. — Le parfumeur lui demandait : « Que faites-vous donc là, mon ami ? » Toby répliquait : « Monsieur, je réfléchis. » Le lendemain, le parfumeur, ayant trouvé Toby dans la même attitude, le secoua violemment. « Voyons, mon garçon, je vous ai pris pour tout faire, et vous ne faites rien ! Vous sortez de nos conventions. Venez servir à table. » Toby se laissa déplacer machinalement comme une chose inerte. La cuisinière lui mit dans les mains une pile d’assiettes et une serviette sur le bras gauche ; — mais le parfumeur et sa famille venaient à peine d’absorber la première cuillerée de potage, qu’un bruit formidable, pareil à celui que produirait l’écroulement de la muraille de la Chine, ébranla la maison. C’était la pile d’assiettes qui venait naturellement de s’échapper des mains de Toby, au moment où Toby avait levé les mains au ciel en s’écriant : « Quelle décadence ! »

Profitant de la stupeur produite par cet événement, Toby fit, en ces termes, sa profession de foi au parfumeur :

« Monsieur, je suis chez vous depuis trois fois vingt-quatre heures ; je n’ai rien fait, mais je n’ai pas mangé, — nous sommes quittes. — Voyez-vous, quand on a été l’homme de confiance de M. le vicomte de Chateaubriand, on ne peut pas servir un marchand de savon. — J’ai mon idée : — j’ai lu hier les poésies d’un jeune homme nommé Lamartine, — je vais lui proposer mes services. — Je vous tire ma révérence. »

Chez le jeune Lamartine (tout cela est du 1828), Toby échoua ; mais ses relations littéraires le recommandèrent à la bienveillance du libraire Ladvocat, de qui je tiens toute cette histoire. — Ladvocat s’attacha Toby. — Là, autres aventures : Toby avait des bottes à revers, une culotte de peau blanche, une redingote noire à aiguillettes et un chapeau galonné d’or et surmonté d’une cocarde large comme la lune. Toby devait monter derrière le cabriolet du fringant libraire de la res-