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l’âme humaine n’est plus. L’ignoble mélange du chaos recommence. D’où l’amour disparaît, adieu le mouvement, adieu l’ordre et la vie !

L’amour est donc la plus grande des choses en face de la vie universelle. Elle en est la plus grande encore en face de la vie humaine. C’est le seul infini certain que Dieu ait laissé à l’homme dans sa demeure terrestre, c’est son plus irrécusable témoin, c’est son second ici-bas.

Quiconque aime, si humble qu’il soit, il aime en Dieu même, sinon il pervertit l’amour.

Cependant de cette grande chose, rapetissée par nous à notre usage, qu’avons-nous fait ? Pour un bel amour vrai, combien de semblants d’amour indignes de ce beau nom !

Convenons-en, au lieu de chercher l’amour comme les grands amants, comme les grands saints de l’amour, toujours plus haut, excelsior, et ainsi qu’il convient de chercher les choses dont l’essence est de monter sans cesse, il semble que tous les jours nous l’ayons cherché, voulu plus bas.

Il est triste d’avoir à le dire, mais la France est peut-être de toutes les nations policées la plus coupable de ce grand abaissement de l’amour, celle où l’amour est le plus outrageusement détourné de son sens, éloigné de son but et falsifié.

C’est à croire que l’organisation de la société française ne laisse au Français d’autre emploi que celui de la faquinerie en amour, et que l’amoureux ne puisse être chez nous, comme le disait Bernard, qu’un jeune premier, joli diseur ou éloquent à ses heures, égoïste, corrompu, et rien de plus. Cela a sa séduction au théâtre, cet emploi. Mais après ? mais dans le monde, que reste-t-il pour jouer les grands rôles de la vie à tous ces beaux fils dont la juvénilité est tout le talent ? C’est bien laid la grâce frivole, aussitôt qu’elle vieillit : vous imaginez-vous don Juan cacochyme ?

Nous avons fait du principal l’accessoire, de l’âge d’aimer celui de n’être bon à rien, et de ce qui devrait remplir l’existence son hors-d’œuvre.

Il est nécessaire que l’expérience parle. C’est sa dernière fonction, c’est son devoir. Il faut que les cheveux gris servent à quelque chose ; il faut que les têtes blondes ou brunes retirent quelque profit des épreuves et, disons le mot, de la folie et des sottises de leurs aînés.

L’amour nous a été mal appris. Nos poëtes, nos romanciers, sentant que cette vieille religion des âmes allait sombrer dans les fadeurs et les