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opinion sur la maitresse et la femme mariée, émise par un de mes amis qui n’a pas été marié et qui n’a jamais eu de maitresse.


« Je pense que la femme mariée, opposée à la maîtresse, représente le côté grave, noble et utile de la vie, le côté architectural, si l’on peut s’exprimer ainsi, celui sans lequel il n’y aurait pour l’homme ni repos, ni abri, ni dignité. Elle est encore le beau fruit qui renferme tous les pépins de la famille et de la société. Otez l’épouse, vous êtes bien près de supprimer la mère, non pas celle qui est uniquement chargée de produire des enfants, mais celle qui a mission de les aimer tendrement, de les élever, d’en faire des hommes et des citoyens. Ainsi la femme, selon le mariage, n’est pas moins que la société même, puisqu’elle est ce qui en constitue la force, la grandeur, la durée et la perpétuité.

« Voici maintenant ce que je pense de la maîtresse. Elle est le côté jeune et riant de la vie, elle en est le mois de mai, l’esprit, la verte poésie, l’imagination. Retranchez la maîtresse, vous retranchez nécessairement tout ce que l’imagination, la poésie et l’esprit enfantent de gracieux et de beau dans la sphère de l’idéal, c’est-à-dire les arts. Aussi se démontre-t-on facilement que les plus splendides œuvres (prenez au hasard) de la peinture, de la statuaire et de la poésie ont été inspirées par ces femmes indépendantes que nous appelons aujourd’hui maîtresses. Ne citez pas, il faudrait tout citer, enfermer le monde des arts tout entier entre des guillemets. Érudition facile, érudition blessante pour la femme du mariage. Mais pourquoi la blesserait-on ? Elle est la raison, la maîtresse n’est que l’esprit ; elle est l’ordre, la maîtresse n’est que l’enthousiasme ; elle est le bon sens, la maîtresse n’est que le délire ; elle est la terre, la maîtresse n’est que le ciel ; non pas, expliquons-nous vite, celui où l’on va pour ses bonnes œuvres, mais celui où l’on voudrait aller pour ne faire aucune sorte d’œuvre, même une bonne. »


réflexion ingénieuse qui ressort de mon sujet ; malheureusement elle n’est pas de moi, mais d’un auteur espagnol peu célèbre.


« J’ai connu, dit cet auteur peu célèbre, un jeune seigneur portugais « qui fut assez heureux pour épouser la jeune maîtresse qu’il adorait et « pour la voir mourir dès qu’elle fut sa femme. »