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rien de chez nous : Nancy est un palais à côté de Paris, mais un palais vide et mort ; ici tout est vivant.

Les malheureux Parisiens se sentent encore de la disette du dernier hiver ; un grand nombre n’ont réellement que la peau et les os ; eh bien, malgré tout, ils plaisantent : à toutes les vitres on voit des farces affichées.

Moi voyant cela, j’étais dans le ravissement ; je me trouvais dans mon véritable pays. Au lieu de porter ma balle de village en village durant des heures, j’aurais trouvé des acheteurs ici, pour ainsi dire à chaque pas ; et puis, c’est aussi le pays des vrais patriotes. Ces gens-là, tout pauvres, tout minables qu’ils sont, tiennent à leurs droits avant tout ; le reste vient après.

Notre confrère Jacques a une de ses sœurs fruitière, rue du Bouloi, près du Palais-Royal ; c’est là que nous descendîmes. Tout le long de la route, depuis notre entrée dans le faubourg, nous n’entendions chanter qu’une chanson :

Vive le tiers état de France !
Il aura la prépondérance
Sur le prince, sur le prélat.
Ahi ! povera nobilita !
Le plébéien, puits de science,
En lumière, en expérience,
Surpasse et prêtre et magistrat.
Ahi ! povera nobilita !

Si l’on avait su que nous étions du tiers, on aurait été capable de nous porter en triomphe. Aussi pour abandonner un peuple pareil, il faudrait être bien lâche ! Et je vous réponds que si nous n’avions pas été décidés, rien que de voir ce courage, cette gaieté, toutes ces vertus, dans la plus grande misère, nous aurions pris du cœur nous-mêmes, et juré de remplir notre mandat, et de réclamer nos droits jusqu’à la mort.

Nous avons passé quatre jours chez la veuve Lefranc. Marguerite, avec mon confrère le curé Jacques, a vu tout Paris : le Jardin des Plantes, Notre-Dame, le Palais-Royal, et même les théâtres. Moi, je n’avais de plaisir qu’à me promener dans les rues, à courir ici, là, sur les places, le long de la Seine, où l’on vend des bouquins, sur les ponts garnis de friperies, de marchands de friture ; à causer devant les boutiques avec le premier venu ; à m’arrêter pour entendre chanter un aveugle, ou voir jouer la comédie en plein air. Les chiens savants ne