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manquent pas, ni les arracheurs de dents, avec la grosse caisse et le fifre ; mais la comédie au bout du Pont-Neuf est le plus beau ; c’est toujours des princes et des nobles qu’on rit ; ce sont toujours eux qui disent des bêtises. Deux ou trois fois j’en avais les larmes aux yeux, à force de me faire du bon sang.

J’ai visité la commune de Paris, où l’on discutait encore les cahiers. Cette commune vient de prendre une résolution très-sage : elle a laissé une commission en permanence pour observer ses députés, pour leur donner des avis et même des avertissements, s’ils ne remplissaient pas bien leur mandat. Voilà une fameuse idée, maître Jean ! et qu’on a malheureusement négligée dans d’autres endroits. Qu’est-ce qu’un député qui n’est surveillé par personne, et qui peut vendre sa voix impunément, en se moquant encore de ceux qui l’ont envoyé ? car il est devenu riche et les autres sont restés pauvres ; il est défendu par le pouvoir qui l’achète, et ses commettants restent avec leur bon droit, sans appui ni recours ! Le parti que vient de prendre la commune de Paris devra nous profiter ; c’est un des articles à mettre en tête de la constitution : il faut que les électeurs puissent casser, poursuivre et faire condamner tout député qui trahit son mandat, comme on condamne celui qui abuse d’une procuration ! Jusque-là, tout est au petit bonheur.

Enfin cette décision m’a fait plaisir ; et maintenant je continue.

Outre ma joie de voir ce grand mouvement, j’avais encore la satisfaction, de reconnaître que les gens ici savent très-bien ce qu’ils veulent et ce qu’ils font. J’allais, le soir, après le souper, au Palais-Royal, que le duc d’Orléans laisse ouvert à tout le monde. Ce duc est un débauché ; mais au moins ce n’est pas un hypocrite ; après avoir passé la nuit au cabaret ou bien ailleurs, il ne va pas entendre la messe et se faire donner l’absolution, pour recommencer le lendemain. On le dit ami de Sieyès et de Mirabeau. Quelques-uns lui reprochent d’avoir attiré dans Paris des quantités de gueux, chargés de piller et de saccager la ville ; c’est difficile à croire, parce que les gueux arrivent tout seuls, après un hiver aussi terrible ; qu’ils cherchent leur nourriture, et qu’on n’a pas-besoin de faire signe aux sauterelles de tomber sur les moissons.

Enfin la reine et la cour détestent ce duc, et cela lui fait beaucoup d’amis. Son Palais-Royal est toujours ouvert, et dans l’intérieur se trouvent des lignes d’arbres où chacun peut se promener. Quatre rangées d’arcades entourent le jardin, et là-dessous sont les plus belles boutiques et les plus élégants cabarets de Paris. C’est la réunion de la