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anciens camarades chez le père Vassereau ; il était en petite blouse serrée aux reins, et tenait sous le bras une de ces hottes à deux branches que j’avais déjà vues. En reconnaissant Montborne, un vieux camarade d’école, je ne pus m’empêcher de lui sauter au cou et de crier :

« C’est toi, Michel ?

— Oui, dit-il de bonne humeur.

— Et qu’est-ce que tu fais donc ici ?

— Hé ! je porte des paquets : je suis porteur depuis deux ans. »

Il était petit et maigre, il louchait ; mais cela ne l’empêchait pas d’être fort. Je crus que le bon Dieu me l’envoyait. Après nous être embrassés bien contents, il me demanda :

« Et toi, Jean-Pierre, tu viens du pays… qu’est-ce que tu veux faire ?

— Je viens travailler en menuiserie ; j’ai une lettre de M. Nivoi.

— Et où est-ce que tu descends ?

— Rue de la Harpe.

— Ah ! fit-il, c’est loin, mais attends, j’ai quelque chose à porter près d’ici, je vais revenir et je te porterai ta malle. Seulement, ça coûtera trente-deux sous… Je suis marié, vois-tu… un autre te ferait payer plus cher.

C’est bien, lui dis-je, va, dépêche-toi, je t’attends. »

Il partit. J’avais un grand poids de moins sur le cœur. Je restai près de ma malle, qu’on avait mise avec beaucoup d’autres dans le bureau. Je la voyais et je ne m’en écartais pas.

Tout continuait à s’agiter dans la cour, sous la voûte et dans la rue. En écoulant ce grand bruit, je ne pouvais pas me figurer que cela durait toujours, et j’ai pourtant vu depuis que le mouvement ne cessait ni jour ni nuit dans cette ville.

Ce n’est qu’au bout d’une heure et quand l’inquiétude commençait à me gagner, que Montborne revint.

« Eh bien, dit-il, c’est fini, montre-moi ta malle.

— La voici.

— Et le billet ?

— Le voilà.

— C’est bien. »

En même temps il tira ma malle de dessous les autres, il la posa d’abord debout sur sa petite hotte, passa la corde autour et l’enleva d’un coup d’épaule.

« En route, fit-il, suis-moi. »