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deux kilos seulement, celui qui portera cinquante-trois kilogrammes sera de seize mètres en retard sur celui qui en portera cinquante-deux, au bout d’un kilomètre.

— Mais c’est leur donner un boulet à traîner, ou plutôt leur attacher une jambe.

— Parfaitement.

— Et alors que signifient les courses ? Je croyais qu’elles avaient pour but de signaler les meilleurs chevaux par une épreuve précise ; au moins c’était l’idée que je m’en faisais.

— Ton idée est juste en théorie ; c’est là en effet le but du Derby et du Grand prix de Paris où tous les chevaux luttent à poids égal. Seulement, si toutes les courses se faisaient ainsi, deux ou trois journées suffiraient par an ; le choix serait bien vite fait entre les bons et les mauvais ; alors, que deviendrait le spectacle, que deviendrait surtout la spéculation ? C’est pour donner satisfaction à ces deux besoins qu’on a inventé les handicaps qui ont pour but d’égaliser par le poids les chances de tous les chevaux partants dans une course : les bons sont surchargés, les mauvais sont déchargés. Tu dois maintenant comprendre pourquoi je me fais maigrir et comment une livre de plus ou de moins de graisse sur mon corps est d’une grande importance.

— Et sur quelles bases calcule-t-on ces surcharges et ces décharges ?

— Sur la valeur reconnue ou supposée des chevaux.

— Hum ! hum ! supposée… cela n’est guère rassurant. Et qui impose ces surcharges ou ces décharges ? Il me semble que cela est aussi important que la livre de graisse dont tu parles, car enfin celui qui fixe le poids fixe d’avance la victoire ou la défaite.

— Exactement comme s’il conduisait à la main tous les chevaux du champ. Aussi est-il fort délicat d’être handicaper ; il faut connaître aussi bien la qualité des chevaux que l’honnêteté des propriétaires.

— Comment l’honnêteté ?

— J’ai un cheval, n’est-ce pas ; je sais que, sans être du premier ordre, il est assez bon ; je le fais courir deux ou trois fois au printemps en recommandant au jockey de l’arrêter, ou bien je le montre dans un mauvais état de préparation : c’est ce qu’on appelle « courir pour se retirer du poids. » D’après ces épreuves, mon cheval, pour ceux qui ne sont pas dans le secret, est un mauvais cheval, et quand je l’engage dans les handicaps d’été ou de printemps, on lui donne un poids très-léger.

— Cela s’appelle de l’habileté.