Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 4.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que cet autre fit bientôt place à un troisième, qui ne dura pas plus que ses aînés ; de sorte que le pauvre Flammèche, auquel le plus épais des bandeaux, celui de l’amour, avait d’abord caché l’enfer, se retrouva un beau jour, meurtri et désabusé, sur le pavé de cette ville sans entrailles qu’on appelle Paris.

Qu’y fit-il ?

Mais qui pourrait le dire ?

Les uns prétendent que, rendu au mal par le malheur, il se jeta au milieu de notre monde parisien en diable désespéré, portant partout le deuil et les larmes. À les en croire, on l’aurait vu successivement avocat, député, médecin, juge, sénateur, ministre et même journaliste ! Il aurait exercé toutes les fonctions, retourné mille fois son habit, allant du riche au pauvre, du peuple à la cour ; pesant toutes les consciences, essayant de tous les vices, s’attaquant à toutes les vertus ; cherchant partout le mal, et le trouvant, hélas ! partout. On vient de nous dire à l’oreille qu’il est l’âme de la Bourse, qu’on l’a vu tout récemment attisant le scandale, remuant l’or et le papier, agitant les fortunes, soufflant dans tous les cœurs cette impure passion des richesses, qu’on a si imprudemment exaltée de nos jours, et préparant, avec un sang-froid implacable, cette grande crise que chacun redoute et que personne ne conjure.

De ce voyage dans Paris il aurait composé un mémoire secret à l’usage du roi, son maître ; mémoire si horrible, que Satan lui-même l’aurait lu avec épouvante et gardé pour lui tout seul, se réservant sans doute de le jeter, dans un jour de colère, sur notre globe, comme une autre boîte de Pandore, pour en faire jaillir des maux inconnus.

D’autres, et nous souhaitons que ceux-là aient raison, car nous avons un faible pour Flammèche, — d’autres, au contraire, assurent que, tirant le bien du mal lui-même, l’ambassadeur du diable aurait eu le bon esprit de renoncer en même temps aux hommes, aux femmes et même à Satan ; que, soumis dès lors à toutes les conditions de l’humanité, mais aussi exempt de l’enfer, il se serait retiré dans une solitude profonde, attendant la mort, — selon le précepte du sage, sans la craindre ni la désirer, — et accomplissant ainsi cette prophétie banale : « le diable se fit ermite. »

p.-j. stahl.