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les signes de la vieillesse, on les rend plus persistants et plus implacables. La nature s’obstine, la vieillesse s’acharne, le front paraît plus ridé, et la face plus anguleuse sous cette chevelure dont le ton emprunté est en désaccord avec l’âge réel et ineffaçable. Les couleurs fraîches et vives des étoffes, les fleurs, les diamants sur la peau, tout ce qui brille et attire le regard, flétrit d’autant plus ce qui est déjà flétri. Et puis, outre l’effet physique, la pensée ne saurait être étrangère à l’impression perçue par nos yeux. Notre jugement est choqué de cette anomalie. Pourquoi, nous disons-nous instinctivement, cette lutte contre les lois divines ? Pourquoi parer ce corps comme s’il pouvait inspirer la volupté ? Que ne se contente-t-on de la majesté de l’âge et du respect qu’elle impose ? Des fleurs sur ces têtes chauves ou blanchies ! quelle ironie ! quelle profanation !

— Eh bien, cette horreur que la vieillesse fardée répand autour d’elle ferait place à des sentiments plus doux et plus flatteurs, si elle n’essayait plus de transgresser les lois de la nature. Il y a une toilette, il y a une parure pour les vieillards des deux sexes. Voyez certains portraits des anciens maîtres, certains hommes à barbe blanche de Rembrandt, certaines matrones de Van Dyck, avec leur long corsage de soie ou de velours noir, leurs coiffes blanches, leurs fraises ou leurs guimpes austères, leur grand et noble front découvert et imposant, leurs longues mains vénérables, leurs lourds et riches chapelets, ces bijoux qui rehaussent la robe de cérémonie sans lui ôter son aspect rigide. Je ne prétends point qu’il faille chercher l’excentricité en copiant servilement ces modes du temps passé. Toute prétention d’originalité serait messéante à la vieillesse. Mais des mœurs sages et des habitudes de logique répandraient dans la société des usages analogues, et bientôt le bon sens public créerait un costume pour chaque âge de la vie, au lieu d’en créer pour distinguer les castes, comme on l’a fait trop longtemps. Que l’on me charge d’inventer celui des vieillards, moi qui suis de cette catégorie, et l’on verra que je rendrai beaux beaucoup de ces personnages qui ne peuvent servir aujourd’hui de type qu’à la caricature. Et moi, tout le premier, qui suis forcé, sous peine de me singulariser et de manquer aux bienséances, d’être là avec un habit étriqué, une chaussure qui me gêne, une cravate qui accuse l’angle aigu de mon menton, et un col de chemise qui ramasse mes rides, vous me verriez avec une belle robe noire, ou un manteau ample et digne, une barbe vénérable, des pantoufles ou des bottines fourrées, tout un vêtement qui répondrait à mon air naturel, à