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la pesanteur de ma démarche, à mon besoin d’aise et de gravité. Et alors, ma chère Emma, vous diriez peut-être : Voilà un beau vieillard ; au lieu que vous êtes forcée de dire, en me voyant dans des habits pareils à ceux de mon petits-fils : Ah ! le vilain vieux !

— Je vous trouve trop sincère pour vous-même et pour les autres, dit Emma, après avoir ri de son aimable discours. Jugez donc quelle révolution, quelle fureur chez les femmes, si on les obligeait d’accuser leur âge en prenant à cinquante ans le costume qui conviendrait aux octogénaires.

— Cela les rajeunirait, je vous le jure, reprit-il. D’ailleurs on pourrait inventer un costume différent pour chaque saison de la vie. Laissez-moi vous dire en passant que les femmes font un sot calcul en cachant mystérieusement le jour de leur naissance. Quand il est bien constaté par quelque indiscrétion (toujours inévitable) que vous avez menti sur ce point, ne fût-ce que d’une année, voilà que la malignité des gens vous en donne à pleines mains : Oui-da, trente ans ! se dit-on… c’est bien plutôt quarante. Elle a l’air d’en avoir cinquante, dit un autre. Et un plaisant ajoutera : Peut-être cent ! Que sait-on d’une femme si habile à tout déguiser en elle ? Il me semble que si j’étais femme, je serais plus flattée de paraître très-bien conservée à quarante ans, que très-flétrie à trente. Je sais bien que quand j’entends dire d’une femme qu’elle n’avoue plus son âge, je la suppose tout d’abord vieille, et très-vieille.

— En cela je pense comme vous, dis-je à mon tour ; mais reparlez-nous de vos costumes. Vous ne changeriez pas celui que portent aujourd’hui les jeunes personnes ?

— Je vous demande bien pardon, reprit-il, je le trouve beaucoup trop simple ; en comparaison de celui de leurs mères qui est si luxueux, il est révoltant de mesquinerie. Je trouve, par exemple, que la toilette d’Emma est celle d’un enfant, et je voudrais qu’à partir de quinze ans elle eût été plus parée qu’elle ne l’est. Est-ce qu’on veut déjà la rajeunir ? Elle n’en a pas besoin. C’est l’usage, dit-on, c’est de bon goût ; la simplicité sied à la pudeur du jeune âge : je le veux bien, mais ne sied-elle donc pas aussi à la dignité maternelle ? Puis, l’on dit aux jeunes personnes pour les consoler : Nous avons besoin d’art, nous autres, et vous, vous êtes assez parées par vos grâces naturelles. Étrange exemple, étrange profession de pudeur et de morale ! et quel contre-sens pour les yeux de l’artiste ! Voici une matrone resplendissante d’atours, et sa fille, belle et charmante, en habit de première communion, presque en cos-