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Quant à employer les ressources subalternes qui sont aux ordres de tout homme qui a de l’or et de l’audace, et dont il n’avait pas craint de se servir envers les plus grandes dames, elles lui eussent fait horreur.

Il pouvait bien rencontrer Lise chez Prosper, mais aller chez Prosper était aussi peu convenable que d’aller chez M. Laloine : il n’avait rien à y faire, et certes l’on chercherait les motifs de ses visites ; et si l’on venait a les découvrir, il comprenait qu’il en serait honteux comme d’une mauvaise action.

Cependant, durant quelques jours, et sans trop se rendre compte de ses espérances, Léonce rompit toutes ses habitudes. Il alla se promener aux Tuileries,

« C’est, se disait-il, la promenade du bourgeois parisien, peut-être y pourrait-il trouver Lise. »

Il alla dans la même soirée à trois ou quatre petits théâtres qui, selon lui, devaient être le spectacle favori du marchand de la rue Saint-Denis ; il en fut pour l’ennui qu’il y éprouva. C’était l’époque de l’exposition des tableaux, il y trouva tout le monde, excepté Lise.

« Vraiment, se dit-il alors, c’est une folie. Quelle est mon espérance ? je n’en ai point, je n’en veux pas avoir, »

Il se répétait cela tous les jours, et tous les jours il éprouvait un plus ardent désir de revoir Lise : tout ce qui l’avait amusé et charmé autrefois ne faisait plus que l’agiter sans le satisfaire. Il était comme un homme qui, habitué aux cris de la ville, à son atmosphère lourde, à sa lumière factice, à son tumulte, à ses mille accidents, a tout à coup été transporté dans un divin paysage illuminé d’une douce clarté, où flotte une vague et céleste harmonie, dont l’air pur rafraîchit la poitrine comme un léger breuvage, où tout arrive au cœur comme une caresse invisible. Cet homme ne voudrait pas assurément vivre sans cesse dans ces idées où rien ne pourrait satisfaire la passion dont il vit ; mais dans une heures de lassitude, il voudrait à tout prix aller respirer cet air, écouter ces murmures et rêver sous ces ombrages frais et embaumés où l’homme retrouve la jeunesse de ses sens, comme Léonce avait retrouvé près de lui la jeunesse de son âme.

Mais cet espoir parut sur le point d’échapper à Léonce, lorsqu’un matin (il était à peine dix heures, et il était déjà levé, habillé ; car, ce jour-là, il devait assister à Marly à un déjeuner formidable, suivi de l’exécution d’un pari des plus excentriques, et terminé par un souper