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Scène XIV.


LES MÊMES, MADEMOISELLE HÉBERT.


Mlle HÉBERT, dans le plus grand trouble. Ah ! madame, ne vous montrez pas à ces furieux ameutés sur la place. Vous entendez leurs cris. (À Richelieu.) Monsieur le duc, défendez-la, ils en veulent à sa vie.

D’AGÉNOIS, mettant la main sur son épée. Nous saurons la défendre.

RICHELIEU, à mademoiselle Hébert. D’où vient cette rumeur ?

Mlle HÉBERT. On a répandu le bruit que le roi était à l’agonie, et que madame était cause de sa mort… Le désespoir, la colère du peuple sont au comble. Ils menacent de pénétrer jusqu’ici pour la tuer ! je suis accourue vous prévenir ; mais comment la soustraire à leur rage ?

RICHELIEU, à l’Officier des gardes. Faites rassembler les gardes, et fermer toutes les portes du palais. (À un Huissier.) Et vous, ordonnez qu’on fasse venir un des carrosses du roi à la grille du parc.

MAUREPAS. Les carrosses du roi ne peuvent plus être mis à la disposition de madame, monsieur le duc.

RICHELIEU. Quoi ! lorsqu’il s’agit de sa sûreté ! vous osez… Eh bien ! c’est mon carrosse, c’est moi qui protégerai sa retraite.

LA DUCHESSE. Ô noble ami !

RICHELIEU. Nous verrons si ce peuple, abusé par de vils calomniateurs, résistera à la voix de la vérité. Et moi aussi je lui parlerai au nom du roi.

D’AGÉNOIS, regardant par la fenêtre. Le tumulte augmente. L’archevêque harangue les révoltés.

On entend les cris : « À bas la duchesse de Châteauroux ; à bas l’assassin du roi ! »

RICHELIEU. Profitons de la présence de ce prêtre pour la sauver de leur fureur. (À la Duchesse.) Suivez-moi.

LA DUCHESSE. Non, laissez-moi m’offrir seule à leurs coups.

Mme DE LAURAGUAIS. Ma sœur !…

LA DUCHESSE. C’est ma vie qu’ils demandent, ils l’auront.

D’AGÉNOIS, l’arrêtant. Elle ne vous appartient pas, madame ; le roi vit encore.

LA DUCHESSE, avec résignation. Oui, je dois subir mon supplice jusqu’au bout. (À Richelieu.) Empêchez ma sœur de passer devant moi, ils pourraient se méprendre.

RICHELIEU. Noble femme.

DUVERNEY. Tout est prêt, madame, partons.

LA DUCHESSE. Oh ! restez, je vous en supplie, restez pour soigner le roi… et dites-lui que j’attendrai son abandon pour mourir. Elle marche vers la porte. Richelieu et d’Agénois s’élancent pour la précéder. Tous la suivent. Les cris du peuple redoublent.





ACTE QUATRIÈME.


Le théâtre représente un salon de l’hôtel de Lauraguais à Paris.



Scène PREMIÈRE.

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS, DUVERNEY.


Mme DE LAURAGUAIS. Ah ! c’est vous, monsieur Duverney… Je n’en devrais pas être surprise.

DUVERNEY. Je serais depuis longtemps ici, madame, sans les affaires qui m’ont retenu à l’armée ; mais depuis son rétablissement, le roi assemble son conseil tous les jours, je ne pouvais m’absenter.

Mme DE LAURAGUAIS. Oui, vous n’êtes pas de ceux que la disgrâce éloigne. Ah ! il faut qu’il y ait bien du danger à nous donner quelque marque d’intérêt, car depuis notre départ de Metz, depuis le jour affreux où sans le duc de Richelieu et le duc d’Agénois, nous succombions à la rage du peuple, vous êtes le seul…

DUVERNEY. Quoi ! de tous ceux qui doivent à madame de Châteauroux leur place, leur fortune, aucun ne s’est présenté chez elle ?

Mme DE LAURAGUAIS. Aucun ! Sans les lettres du duc de Richelieu, nous serions dans l’ignorance de ce qui se passe à la cour. Mais comment se fait-il qu’un arrêt surpris au délire d’un malade soit confirmé par un silence de deux mois ? Comment se fait-il qu’un amour si vif, si mérité, se soit évanoui comme un prestige ?

DUVERNEY. Attendons encore pour le juger. Le roi revient ce soir ; tous les corps de la ville se rassemblent déjà pour aller au-devant de lui, c’est à la lueur des illuminations de tout Paris qu’il fera son entrée. Un coup de canon avertira le peuple de l’arrivée du roi à la barrière ; il revient comblé des faveurs de la victoire et des adorations de la France. Qui sait ce que ce retour doit produire ?