Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/21

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par le baldaquin. Le capitaine Bourhis et le timonier Bargain, ceux dont les cris avaient retenti le plus fort et le plus longtemps sur la noire atlantique, venaient-ils leur adresser des reproches ? Il n’en fallait plus douter, car c’était le soir de la Toussaint où les esprits ont permission de Dieu de rentrer dans les maisons.

— Qu’avez-vous ? C’est nous, Nonna, Anne, nous venons aux nouvelles, dirent les jeunes filles stupéfaites du mutisme et de l’immobilité des Buanic.

Se baissant avec précaution sous le rabat de la cheminée, Jean et Julien s’approchèrent de leurs fiancées. Pour vaincre l’obscurité redoutable aux gens superstitieux, Maharit alluma une lampe et la suspendit à une poutre traversière de la charpente. À sa flamme tout le plafond apparut goudronné et scintillant. Les fumées huileuses des copeaux de hêtre avaient coaltaré toutes les solives de la saboterie.

— Comme vos mains sont froides ! disaient les jeunes filles après avoir pressé celles des marins.

— Glacées comme celles des trépassés, fit Julien avec un rire amer. Oui, nous savons ce qu’on raconte au village. On vous accuse de fréquenter des « anaons ».

— Ah ! taisez-vous ! Ce ne sont pas des plaisanteries à dire, protesta Nonna ; mais lorsque Jean voulut l’embrasser, pour lui prouver la chaleur de ses lèvres, elle se recula peureusement.

Anne chuchotait tendrement à Julien :

— Crois-moi, toutes les réflexions mauvaises des filles du capitaine Bourhis ne m’empêcheront pas de t’aimer. Ah ! c’est vrai, les Bretons ont la tête dure dans l’amour comme dans la rancune. Et à Ploudaniou, ils ne veulent rien oublier.

— Qu’ils oublient ou se rappellent, nous n’avons rien à nous reprocher, repartit vivement le jeune homme. En êtes-vous bien assurées, vous-mêmes, ta sœur et toi ?

Anne inclina profondément la tête, mais elle se garda de prononcer une parole. À force d’entendre les affirmations véhémentes des veuves de la « Rosa-Mystica », elle finissait par croire que son fiancé et Jean avaient pu se trouver victimes d’une terreur panique. N’étant point nés de marins, n’étaient-ils pas excusables ?

— Dégoûtés d’être traités d’assassins par des gens de