Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/35

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tête de mort, une inscription, peinte au goudron sur une planche, avait été clouée :

« Mon nom est Jean Buanic,
« Capitaine naufrageur »

Et sous l’autre chef, il lut :

« Je suis Julien Buanic, âme perdue. »

D’abord l’horreur retint le jeune homme immobile, puis il alla chercher son frère. Dans le gros temps qui rugissait autour d’eux, hébétés, découragés ils contemplaient les macabres piquets. Enfin, ils se décidèrent à les retirer afin que leurs parents n’en fussent pas affligés ; mais, avec le respect instinctif des Bretons pour les reliques des défunts, ils auraient voulu leur assurer une place respectée.

— Il faudrait les rapporter au cimetière, murmurait timidement Julien, mais cela me paraît bien difficile maintenant. Il fait jour. Nous serions rencontrés et c’est nous qu’on accuserait d’avoir enlevé de l’ossuaire ces chefs. Quel scandale !

Les marins regardaient autour d’eux comme si une inspiration subite pouvait leur arriver de l’espace. Après une hésitation, Julien proposa de les jeter aux flots. L’océan n’est-il pas la grande tombe des marins les plus braves ?

— Tu as raison, frère.

Les longs-courriers s’avancèrent jusqu’à l’extrémité du petit cap de Poultriel en tenant les têtes posées respectueusement sur leurs paumes et tous deux à la fois lancèrent les crânes à l’océan.

Au même instant, à travers le palus, une voix stridente s’éleva : Je suis le capitaine Bourhis !

Et une seconde voix, plus basse, annonça : Je suis le timonier Bargain !

Ensuite, une dizaine de voix réunies appelèrent : À nous les Buanic ! Nous périssons ! Ô ma mère ! Ô ma femme ! Ô mes chers petits enfants !

Jean et Julien eurent un geste d’impuissance affligée, puis ils essayèrent d’apercevoir les misérables qui avaient