Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/44

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À ce point du récit de Maharit, les jeunes filles furent prises d’un tremblement d’effroi en se remémorant leur discussion précédente.

À cet instant, la tête mousse aux yeux clairs de Job apparut à la fenêtre, et il dit d’un ton acerbe :

— Puisqu’on appelle mes garçons « âmes perdues » ils s’imposeront aux damnés pêcheurs de Ploudaniou en cette qualité. Voilà ce qu’ils nous mandent. Et ils doivent avoir leurs raisons. Ah ! ils se vengeront, c’est mon idée et…

— Laissez-moi donc leur dire le nécessaire, interrompit Maharit. Mes fils m’écrivent : « Si Nonna et Anne nous portent encore de l’affection, qu’elles se réunissent à vous, mardi, à cinq heures du matin, à la pointe du Toulinguet. Un youyou venu de la mer vous prendra tous quatre et vous mènera à bord du « Grèbe » où nous vous recevrons dans nos bras, chers parents et chères fiancées. Là, sur notre navire, on s’entendra pour l’avenir. On vous reconduira sur terre avant que les gens du bourg aient pu se douter de notre rencontre. Alors, nous reprendrons notre vol vers le large ! » Oui, voilà ce que nos fils nous écrivent.

— « Alors nous reprendrons notre vol vers le large » répétait la blonde Nonna, ses yeux d’océanide tout écarquillés par l’inquiétude. Ils ne nous emmèneront donc jamais avec eux, Jean et Julien ?

— Ha ! ha ! entendez-moi ce petit poisson volant, s’exclama la sabotière égayée. Bientôt le curé et le maire passeront par là et vous naviguerez de conserve avec vos maris tant qu’il vous plaira.

À la marée de ce lundi soir d’octobre, presque tous les patrons pêcheurs refusèrent de partir. Par ce calme plat, les voiles roucouées pendaient à leurs vergues avec des plis de guenille. Et la nuit s’écoula trop lente au gré de Nonna et d’Anne. Bien avant l’aurore, les deux sœurs examinèrent le ciel et la mer. Hélas ! il aurait semblé que l’air était devenu du lait. On ne pouvait distinguer le phare et les grèves.

— Misère ! Leur brick ne sera pas au rendez-vous ou bien jamais il n’osera envoyer son canot à la côte, dit Nonna deinée.

Le clocher de Ploudaniou sonnait quatre coups. C’était encore l’obscurité, quand bras dessus et bras dessous, pour