Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Malheur sur nous ! C’est le côtre du syndic. Il doit avoir pris à son bord notre père chargé d’aller juger sur place une réclamation à propos de filets crevés par la faute d’une balise en dérive.

D’instinct, les brodeuses se tapirent derrière une rangée de tamaris plantés par Job en façon de barrière. Après un savant virage, l’embarcation changeant ses amarres de bordage, mouilla sur le lieu de son enquête. Les jeunes filles virent le syndic lancer ses ancres et s’affourcher. Un point rouge brilla contre le mât de misaine.

— Notre père, fit Anne effrayée, et il a des yeux qui reconnaîtraient la couleur d’une mouche sur la maison des Buanic. Nous sommes prises.

Quelques minutes s’écoulèrent. Penchée sur l’allège de sa croisée, Maharit, étonnée, ne comprenait rien à l’attitude des jeunes filles. Les ayant aperçues, elle leur dit gaîment :

— Faites-vous votre prière, mes belles ? Entrez donc ! J’ai de belles histoires à vous faire connaître.

— Chut ! taisez-vous, Maharit !

À cet avertissement, la sabotière considéra les marais, la dune, puis la mer, et aperçut enfin, dans l’anse de Poultriel, la barque aux voiles carguées.

— Pauvres pigeons bleus, dit-elle alors, j’ai compris. Oui ! oui ! demeurez où vous êtes, car vous seriez aperçues. M’entendez-vous ?

— Oui, mère Buanic.

— Eh bien ! mes chères filles, je ne puis plus tarder à vous raconter la grande nouvelle. Mardi, si vous avez du courage, vous reverrez Jean et Julien !

Toujours agenouillées dans le sable et leurs têtes baissées afin que leurs coiffes pailletées ne fussent pas aperçues de Gurval Lanvern et du syndic qui sautaient à la lame dans leur embarcation, à cent mètres à peine du rivage, les brodeuses questionnèrent avidement la sabotière. Et voici ce que Maharit leur apprit. Pour des raisons qu’ils feraient connaître plus tard, Jean et Julien voulaient laisser croire aux gens de Ploudaniou que jamais plus l’on n’entendrait parler d’eux. Il ne fallait pas qu’on soupçonnât, dans le bourg, leur présence momentanée sur le littoral. C’était leur volonté d’être considérés comme morts.