Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/61

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Buanic, se trouvait en perdition. Au premier instant le syndic crut les demoiselles Lanvern complètement folles.

Elles l’entraînèrent sur le port et lui montrèrent les feux rouge, jaune et vert qui, plus gros que tout à l’heure, bondissaient ou s’effondraient dans des gouffres instables pour resurgir à la pointe des houles comme des yeux hagards. Aux mugissements de la sirène de la station de sauvetage, toutes les portes s’ouvrirent. Les hommes, femmes, vieillards, mousses coururent au hangar du canot. Le grand Gurval, demi-vêtu, ses cheveux roux hérissés comme une botte de paille, trouvant Nonna et Anne parmi la foule entassée dans l’abri, leur fit un visage affreux. Mais ce n’était pas l’heure de châtier ces rebelles comme elles le méritaient ; l’honneur lui commandait de sauver d’abord les pauvres hommes en peine de perdre leurs corps.

— Sait-on la position du navire en danger ? A-t-il pu se faire connaître ?

— Oui, c’est le « Grèbe » capitaine Jean Buanic, second Julien Buanic, répondit résolument le syndic. Un cri d’horreur s’éleva : Nous ne partirons pas pour ces « âmes perdues ». Non ! non ! jamais ! D’un ton furieux, le patron Lanvern prononça :

— Ce n’est pas la peine que du monde de chair et de sang donne sa souffrance pour délivrer des « âmes perdues » qui ne courent aucun risque.

Les trois feux de couleur sautaient comme des danseurs endiablés.

— Allons ! allons ! reprit M. Béven avec autorité, regardez ces lumières, les amis, et que celui qui ne se sent pas le cœur retourné, lève la main ?

Pas un bras ne se dressa. Le syndic en fut interdit.

— Une supposition, compagnons, dit alors le vieux Plonéour-Œil blanc, venant en aide à M. Béven, si ce sont des « âmes perdues », vous aurez tout de même fait votre devoir de chrétiens, car il faut soulager les esprits en peine, et si ce sont de pauvres hommes à l’angoisse des flots, il faut les sauver.

En vain, Gurval annonça-t-il qu’il se refuserait à ordonner cette sortie, ses rameurs eux-mêmes, et parmi eux des cousins des naufragés de la « Rosa Mystica » réclamèrent