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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/59

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Le duc arrangea cette affaire ; mais il ne voulut jamais consentir à laisser mon père passer encore quelques jours à Paris. Mon père fut obligé de retourner sans délai à sa garnison ; il en eut tant de dépit, qu’il se promit de quitter le service, ce qu’il fit en effet trois mois après, à trente-deux ans.

Mon père avoit pour moi la plus vive tendresse ; mais il ne se mêla de mon éducation que sur un seul point : il vouloit absolument me rendre une femme forte, et j’étois née avec une quantité de petites antipathies : j’avois horreur de tous les insectes, surtout des araignées et des crapauds ; je craignois aussi les souris ; je fus obligée d’en élever une. J’aimois passionnément mon père, et il avait un tel empire sur moi que je ne balançois jamais à lui obéir. Il m’ordonnoit sans cesse de prendre avec mes doigts des araignées, et de tenir des crapauds dans mes mains, chose qu’il faisoit continuellement. À ces commandemens terribles, je n’avois pas une goutte de sang dans les veines ; mais j’obéissois. Au reste, ces tours de force m’ont bien prouvé que les crapauds n’ont aucun venin ; mais ces violences ont beaucoup contribué à m’attaquer les nerfs, et n’ont fait