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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/84

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le rôle de Zaïre, et tellement que des dames de Moulins, venues à nos représentations, déclarèrent gravement que mon talent de tragédienne surpassoit celui de la Clairon. Cette louange fit bien rire mademoiselle de Mars, qui se moquoit un peu de mon ton emphatique dans la scène où je disois : Est-ce vous, Nérestan ? De mon côté, je contrefaisois assez plaisamment, entre nous, ses yeux hagards, furibonds, son ton acre et son grasseyement, lorsqu’au dénoûment, elle disoit à Orosmane : Tigre altéré de sang !…. Toutes ces moqueries sur nous-mêmes nous faisoient rire aux larmes, ce qui nous accoutumoit naturellement à n’attacher aucun amour-propre à de petits ridicules, et à ne trouver d’importance qu’aux choses dignes d’être estimées ; enfin à ne mépriser que ce qui est vicieux, et non des puérilités.

Dans ce temps nous vîmes arriver à Saint-Aubin, un homme qui excita vivement ma curiosité. C’étoit un très-mauvais auteur, et le premier homme de lettres que j’aie vu dans ma vie. Ayant été au collége avec mon père, il en étoit assez aimé sans en être estimé sous aucun rapport : un procès l’obligea d’aller à Dijon,