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bertés. Lucile, l’ami de Scipion et le premier satyrique de Rome, se moquait des dieux à peu près autant que des hommes.

Dans un entretien qu’il supposait entre les habitants de l’Olympe, il les faisait plaisanter eux-mêmes sur ce titre de père que les hommes leur donnaient à tous indistinctement. Dans Athènes, le philosophe Stilpon avait été banni par sentence de l’Aréopage pour avoir osé dire que la Minerve du Parthénon n’était pas une Divinité, mais l’ouvrage de Phidias ; à Rome, Lucile se moquait impunément des Romains prosternés devant ces vains simulacres imaginés par Numa ; et il compare leur idiote terreur à celle des petits enfants qui prennent pour des hommes vivants toutes les statues d’airain qu’ils apperçoivent.

Lucrèce fut plus savant et plus hardi que le vieux Lucile. Son ouvrage, considéré comme un monument historique, est une grande preuve de la décadence du paganisme chez les Romains. Les idées philosophiques ne tombent dans le domaine du poëte qu’après avoir longtemps occupé les esprits. Lucrèce écrivait, nous dit-il, pour dégager les âmes des chaînes de la religion, pour relever les courages abattus par la terreur, pour faire cesser ces offrandes de victimes que les hommes tremblants prodiguent au pied des autels[1].

Disciple passionné d’Épicure, Lucrèce, nourri de tous les écrits de cette Grèce qui avait épuisé tour à tour la fable et le scepticisme, ne voit dans l’univers et dans l’homme que la matière. Il détruit toute spiritualité, toute liberté, toute conscience, sans s’inquiéter s’il rendra l’homme plus raisonnable ou plus méchant.

On peut croire que ces opinions, empruntées par le poëte

  1. On voit que le monde flottait alors entre la superstition et l’incrédulité comme entre l’anarchie et le despotisme, et qu’il était incapable de se régénérer lui-même, car il ne sortait d’un mal que pour tomber dans un autre. Sans la venue du Christ, le monde était perdu, même physiquement, comme l’a dit l’auteur du Génie du Christianisme.