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culte des aïeux, à peu près comme il se pratique de temps immémorial parmi les Chinois. Aucun des grands hommes de la république, ni les Scipion, ni les Camille, n’avaient été divinisés publiquement ; mais le fils offrait des sacrifices aux mânes de son père. L’âme de son père était un dieu pour lui. Dans le temps de la vertu romaine, Cornélie, cherchant à détourner son second fils de la route et des périls du premier, lui disait, suivant cet usage du paganisme romain : « Lorsque je serai morte, tu m’offriras le culte des aïeux, et tu invoqueras le génie de ta mère ; tu ne rougiras pas alors d’implorer par des prières ces divinités que, vivantes et présentes, tu auras délaissées et trahies. »

L’empire des Césars envahit aussi cette illusion de la piété domestique. Tibère offrait des sacrifices, immolait des victimes à la divinité d’Auguste. Ces apothéoses servaient à la tyrannie, en aggravant l’accusation de lèse-majesté, et en rendant sacriléges tous ceux qu’on voulait perdre. Cette circonstance seule peut expliquer des faits inconcevables pour nous : comment un sénateur romain était accusé pour avoir vendu l’image du prince, pour avoir profané une bague qui portait cette effigie sacrée ! Par une contradiction bizarre, les empereurs étaient à la fois dieux et hommes ; on les adorait, et on priait pour eux. Les délateurs accusaient Thraséas de n’avoir pas immolé des victimes pour la santé de Néron, pour la conservation de sa voix céleste.

Domitien se donnait le titre de dieu dans ses décrets et dans ses lettres. Il semble qu’une religion, déshonorée par de telles apothéoses, dût, chaque jour, s’avilir davantage dans les esprits. Au reste, il est assez difficile de déterminer sous quelle forme ceux qui croyaient alors aux dieux concevaient leur existence. Pour la foule et pour le gouvernement qui, en fait de religion, agit souvent comme la foule, le culte romain n’était, sous quelques rapports, qu’un fétichisme grossier. En voici deux exemples : Ayant éprouvé de grandes pertes sur mer, Auguste, dans une cérémonie publique, fit retirer la statue de Neptune, et châtia, pour ainsi dire, le dieu de son in-