Page:Gentil, La chute de l’empire de Rabah, Hachette, 1902.djvu/235

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et qui tombait seul, abandonné de tous, durant la retraite de son armée…

J’allai de suite annoncer moi-même cette nouvelle au pauvre commandant Lamy, sur son lit de douleur. Le vaillant soldat eut un sourire de contentement. Se sentant déjà mourir, il s’en allait certain que le sacrifice de sa vie, qu’il venait de faire si noblement, si héroïquement, n’avait pas été inutile.

Cependant tout se tait. Les quelques détonations qu’on entend encore de temps en temps se font de plus en plus rares. Les troupes se rassemblent peu à peu dans l’intérieur du tata. Le capitaine Reibell revient ; je le prie de faire venir un courrier rapide au lieutenant de Thézillat pour lui annoncer le résultat de la journée, et pour lui demander de faire venir les embarcations en acier et le chaland, afin d’y mettre les blessés. C’est la seule façon de pouvoir les ramener à Koussouri, sans les faire trop souffrir.

Nous attendons les embarcations pendant plus de deux heures. Autour de nous c’est le spectacle de la mort hideuse, sous toutes ses formes. Le sang des cadavres, qui s’est coagulé, prend une teinte brune et déjà une odeur fade et pénétrante s’en dégage. Les oiseaux de proie, les vautours s’abattent sur ce charnier et commencent leur lugubre festin. C’est horrible !

Enfin, le chaland et les baleinières accostent. On conduit le commandant Lamy, le lieutenant de Chambrun, le lieutenant Meynier, le lieutenant Galland, ainsi que les autres blessés, dans le grand chaland. Les morts sont placés dans les baleinières. Le commandant Lamy semble avoir perdu connaissance ; son cœur ne bat plus que faiblement, ses extrémités sont froides. Le docteur Haller accompagne le convoi qui remonte le fleuve.

Une heure après, nous faisons notre rentrée dans Koussouri. L’attitude de la population a complètement changé. Les figures des indigènes, que j’avais remarquées sombres et inquiètes dans la matinée, paraissent rayonnantes. On nous accueille par des salves et des cris de joie.