Leurs pirogues taillées dans d’immenses troncs d’arbres sont généralement à fond plat, ont la poupe et l’avant sculptés d’une façon élégante et portent en moyenne vingt colis de trente kilos avec quelques hommes, sans compter leur équipe variant entre 10 et 16 pagayeurs. Mariniers remarquables, les Banziris ou les Sangos n’ont pas leurs pareils pour manœuvrer leurs frêles embarcations, au milieu des rapides et des rochers. La pirogue lancée à toute vitesse semble vouloir s’écraser sur les cailloux ; point, un léger coup de perche, des coups de pagaie plus vigoureux, on passe, on est passé. Un chant retentissant et cadencé s’échappe des poitrines de tous, accompagné par un tam-tam, et l’on continue ainsi pendant deux jours environ ; le troisième on atteint Ouadda.
À mon arrivée à Bangui, Le Bihan, qui m’y avait précédé de quelques jours, était déjà parti avec des pirogues que lui avait procurées M. Michaud, administrateur. Il avait enlevé une bonne partie de notre matériel ; aussi, ne voulant pas attendre le retour de ces pirogues, je me décidai à passer les rapides en vapeur.
J’avais déjà tenté l’opération avec succès en 1893, j’étais donc sûr de moi, et comme le Faidherbe était encore capable de donner douze nœuds, j’estimai qu’il était possible de recommencer.
Je me mis en route dès le lendemain. Lancés à toute petite vitesse, nous nous engageons dans le rapide ; les eaux bouillonnent, le courant est d’une violence inouïe. Tenant moi-même la barre, je fais augmenter peu à peu l’allure de la machine, le vapeur semble sauter par bonds, nous avançons doucement, le premier seuil est franchi, le deuxième aussi, nous saluons à notre passage la mission catholique des pères du Saint-Esprit qui, récemment arrivés, s’occupent de construire leurs habitations, et nous continuons. Successivement nous passons quatre autres seuils et nous voici devant le rapide de l’Éléphant. Il est formidable et presque terrifiant, les eaux se précipitent sur les rochers avec un grondement effroyable, la passe où nous devons nous engager est étroite, des tourbillons nous prennent, faisant évoluer le navire cap pour cap, la barre est impuissante, la vitesse