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Page:George Eliot Le moulin sur la Floss Tome 1 1897.djvu/9

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reuses et obéissantes bêtes aux doux yeux semblent lui jeter entre leurs œillères un regard de reproche de ce qu’il fait claquer son fouet d’une manière aussi effrayante, comme s’il était besoin de cet avertissement !

Voyez comme ils raidissent leurs épaules en montant vers le pont, avec d’autant plus d’énergie qu’ils se sentent tout près de la maison. Regardez ces grands pieds velus qui semblent se cramponner au terrain, la vigueur patiente de leurs cous tendus sous le lourd collier, les muscles puissants de leurs hanches ! J’aimerais à les entendre hennir au-dessus de leur avoine si bien méritée, à les voir, le cou humide et délivré du harnais, plonger leurs naseaux fumants dans le réservoir. Les voilà maintenant sur le pont ; ils redescendent d’un pas rapide, et le chariot cou-vert disparait à un tournant derrière les arbres. Je reporte de nouveau mes regards sur le moulin ; j’examine la roue qui, sans se reposer, lance incessamment des gerbes de diamants liquides. Une petite fille t’examine aussi ; elle n’a pas quitté sa place au bord de l’eau depuis que je me suis arrêté sur le pont. Et ce singulier petit griffon blanc aux oreilles brunes a l’air de sauter et d’aboyer dans une colère inutile contre la roue ; peut-être en est-il jaloux ; car sa petite maîtresse, sous son chapeau de castor, parait très absorbée dans sa contemplation. Il serait temps, je pense, que cette petite fille rentrât à la maison, où il y a un feu bien flambant pour t’attirer : j’en vois, grâce à l’obscurité croissante du ciel, briller la lueur rouge. Il est temps aussi que je cesse de m’appuyer sur la froide pierre de ce pont.

Mais vraiment, je suis tout engourdi...Je m’éveille, pressant de mes coudes les bras de mon fauteuil je m’étais endormi et je croyais être sur le pont devant le moulin de Dorlcote, !e voyant tel que je l’avais vu dans une après- midi de février, il y a longtemps de cela ; et, avant de m'assoupir entièrement, j’allais vous faire assister à la con versation de M. et de Mme Tulliver, tous deux assis près d'un feu brillant, dans le parloir de gauche, pendant cette même après-midi à laquelle je viens de rêver.