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ESCAL-VIGOR

ce grand enfant illusionné pour le conduire dans la vie, quelqu’un qui, sans l’arracher brutalement à ses chimères, le mènerait tout doucement par la main dans les sentiers de la réalité ! »

Blandine promit du fond de l’âme à sa bienfaitrice de toujours veiller sur le jeune comte et de ne se séparer de lui que s’il la chassait. La douairière eût voulu rendre leur union indissoluble, mais elle n’osa aborder ce sujet délicat avec Henry et lui faire part de son vœu le plus cher. À force de se ronger le cœur, sa robuste santé finit par s’altérer et son état s’aggrava de jour en jour. Elle voyait approcher la mort avec cette fière résignation puisée dans les écrits de ses philosophes préférés ; elle l’aurait même accueillie avec la joie que le travailleur, vaincu par la fatigue d’une rude semaine, manifeste à l’idée du repos dominical, si le sort de son cher garçon ne l’avait bourrelée d’angoisses.

Henry et Blandine se tenaient à son chevet, trompés par le calme de la moribonde, et ne pouvant croire à l’imminence de la fin.

Il paraît que le voisinage de la mort prête aux agonisants le don de seconde vue et de prophétie. La douairière de Kehlmark entrevit-elle l’avenir