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ESCAL-VIGOR

la torture de ses créatures ! À ce compte, le pire des sadismes serait celui d’un prétendu Dieu d’amour ! Notre supplice ferait sa volupté !…

Tu t’expliques à présent ma vie, et tu comprends pourquoi je te parle si orgueilleusement malgré ta splendeur d’âme, ô Blandine !

Tu m’as connu autrefois quelques amis de ma caste, des gens excellents, une élite capable de toutes les indulgences et de toutes les compréhensions, des penseurs, des esprits d’avant-garde, qu’aucune spéculation, fût-elle la plus osée, ne semblait devoir effaroucher. Tu te rappelles combien ils me recherchaient. Eh bien, souviens-toi de mes subites tristesses en leur compagnie pourtant si cordiale ; de mes éclipses prolongées, de mes apparentes bouderies. Quelle en était la cause ? Au milieu d’une conversation enjouée, au plus fort de nos confidences et de nos épanchements, je me demandais quel accueil me feraient ces mêmes amis s’ils lisaient dans mon âme, s’ils se doutaient de ma différence. Et à cette seule idée, je m’insurgeais intérieurement contre cet opprobre qu’ils n’eussent point manqué de m’infliger, tout supérieurs et audacieux qu’ils se prétendaient. Les plus généreux se seraient abstenus de tout blâme,