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ESCAL-VIGOR

On se racontait aussi que son aïeule, la douairière, lui avait laissé près de trois millions de florins en titres de rente. Il n’en fallait pas davantage pour que la positive Claudie jugeât Kehlmark un épouseur, un mâle très sortable. Peut-être, s’il n’avait pas été riche et titré, l’eût-elle préféré un peu plus membru et sanguin. Mais elle ne se lassait pas d’admirer son élégance, ses traits aristocratiques, ses mains de demoiselle, ses beaux yeux outre-mer, sa fine moustache, et sa barbiche soigneusement taillée. Ce que le Dykgrave présentait d’un peu réservé ou d’un peu timide, de presque langoureux et mélancolique par moments, n’était pas fait pour déplaire à la pataude. Non point qu’elle donnât dans le sentimentalisme : rien, au contraire, n’était plus loin de son caractère extrêmement matériel ; mais parce que ces moments de rêverie chez Kehlmark lui paraissaient révéler une nature faible, un caractère passif. Elle n’en régnerait que plus facilement sur sa personne et sur sa fortune. Oui, ce noble personnage devait être on ne peut plus malléable et ductile. Comment aurait-il subi, sinon, si longtemps le joug de cette « espèce », de cette demoiselle, que l’expéditive Claudie n’était pas loin de considérer comme une intruse ? Le raison-