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ESCAL-VIGOR

friselis de feuilles et un remous de fragrances. Manœuvres, paysans, déracinés de leurs villages, soldats casernés, villages désirés et lointains, clochers lancinants qui vous trouent les cœurs en mal de pays : cette association d’idées fugaces tourna chez Kehlmark en une capiteuse suggestion rustique d’où se détacha tout à coup, symbolique, l’image de Blandine, non point la Blandine d’à présent, mais la petite paysanne telle qu’elle s’avoua rétrospectivement à lui, le poète épris de force et de pleine nature.

— Elle est là-haut à sa toilette ! se dit-il, car l’heure approche de rejoindre bonne maman.

Somnambulique, les yeux ivres de courses agrestes et d’étreintes éperdues, il monte à la chambre de la petite.

Quoiqu’elle fût en chemise, Blandine n’eut qu’un frisson à peine frileux devant cette intrusion. C’était comme si elle l’avait attendu. Elle était en train de démêler sa luxuriante chevelure flottant sur ses épaules et, embaumant la lavande et les aromatiques herbages de son pays, elle se tourna vers lui avec un confiant sourire. Il la prit par les mains, mais presque sans la regarder, scrutant des absences, des au-delà, fermant même les yeux pour