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ESCAL-VIGOR

patricien a entendu les maçons tirer d’argentines musiques des briques qu’ils battent de leurs truelles. Plusieurs fois, sollicité, il s’est penché au dehors, et il a vu les manœuvres blancs et fauves, poupins garçons de la campagne, l’auget ou l’oiseau à l’épaule, inconscients équilibristes, gravir les échafaudages et affronter les vertiges. Parfois les feuillages les lui masquent, puis, brusquement, ils émergent de la futaie, en dramatique relief de chair active sur le bleu indifférent du ciel…

Pourquoi son cœur gonfle-t-il d’indicible nostalgie quand, après le coucher du soleil, il leur voit passer le rustique sarrau bleu par-dessus leurs nippes aussi barbouillées qu’une palette ? Ce sera pire encore après-demain, quand ils auront fini ; leur activité harmonieuse comme une orchestrique devenait une habitude flattant ses yeux et il prévoit qu’ils lui manqueront, ces peinards ; l’un surtout, un alerte blondin, mieux équarri, plus cambré que les autres, qui trouvait, sans les chercher, des coups de reins, de jarret et d’épaules à désespérer un sculpteur. « Il y aura de ces aides-maçons dérobés à leur décoratif métier par la caserne », songe Kehlmark en entendant les appels du clairon, peut-être les leurs, expirer dans un