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Page:Georges Ista La Tomate 1909.djvu/3

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na le dos, et clama vers l’escalier des loges : « En scène pour le Drapeau ! »

Vêtue de soie noire, la grosse Pauline descendit lentement, avec les allures solennellement douloureuses d’une martyre entrant dans la fosse aux lions. Songez donc : on lui faisait jouer un rôle de vieille, parce qu’il n’y avait pas de duègne dans l’établissement ! Et ce gredin de régisseur l’obligeait à se dessiner des rides, sans se demander quel effet ce crime de lèse-beauté pourrait produire sur le petit vieux si cossu qui, depuis trois jours, occupait chaque soir le quatrième fauteuil du premier rang, pour elle, rien que pour elle, elle le savait, elle le sentait. D’une voix tragique, la grosse dondon s’écria : « Voyez, monsieur, je vous ai obéi ! » Et, penchant la tête, elle montra, sur sa tempe, une patte d’oie tracée d’un crayon si énergique, qu’il n’était pas impossible de la distinguer encore, à trois mètres de distance, en se servant d’une excellente lorgnette. Marbrerot faillit jurer. Mais il était trop tard pour changer quoi que ce fût, et il se contenta de son habituel haussement d’épaules. « En scène, répéta-t-il. En scène ! »

Sitôt qu’il eut le dos tourné, Pauline, d’une houpette cachée dans son mouchoir, estompa de son mieux l’odieuse patte d’oie. Et le régisseur gagna le fond, pour attendre son entrée, non sans que Rosemonde, au passage, lui eût murmuré de son air angéliquement obstiné : « Laissez-moi jouer la Tomate, siouplaît, m’sieur ! »