Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/141

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forme ; je lui ai dit : Vous n’avez pas aujourd’hui la capotte verte, mon prince ? voilà bien la plus grande preuve de disgrâce. Cela l’a fait rire ; il s’est jeté à mon cou, et nous nous sommes embrassés comme des pauvres. Comme on ne peut lui parler que devant des Popes, des brigands, des consuls intriguant dans l’Orient, ou de nouveaux baptisés, je lui fis dire que j’attendois le jour de son St. Grégoire qui, à ce que j’espérois, feroit encore un miracle pour lui, et que je partirois le lendemain 12 octobre.

Il me répondit qu’il n’attendoit qu’une frégate : elle n’arriva pas, mais le jour de St. Grégoire arriva.

Il n’attaqua point, il n’en étoit pas seulement question. Il voulut se donner une partie de plaisir, à lui-même et à son patron, en prenant, le jour de sa fête, un bâtiment turc : le bâtiment ne fut pas pris. Le prince fut toute la journée d’une mélancolie hypocondriaque et profonde, et ne me traita pas fort bien, surtout devant les grands de son armée. Mais le soir, lorsque je pris congé de lui, il parut sortir d’un rêve ; il me dit : Vous partez donc… Il s’attendrit, me serra long-tems dans ses bras à plusieurs reprises, courut après moi, recommença encore, et enfin me quitta avec beaucoup de peine.