Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/177

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Voulez-vous un triste exemple de la prédestination ? Le prince Potemkin me dit : — Allons voir une expérience de nouveaux mortiers. J’ai ordonné qu’une chaloupe vînt nous chercher pour nous conduire au vaisseau sur lequel cette expérience doit se faire. — Nous cherchons sur le bord du Liman ; point de barque : on avoit oublié d’en commander une. L’expérience commence et réussit. Mais on croit s’apercevoir que quelques chaloupes ennemies, attachées à des anneaux, sous les murs de la place, s’en détachoient, pour venir sur nous. On veut se mettre en défense : on ne réfléchit pas à la poudre étendue sur le pont et couverte seulement par une voile ; on en prend sans précaution pour tirer sur ces barques qu’aux premiers rayons de l’aurore on croyoit voir s’avancer. Le feu prend. Le vaisseau, un lieutenant-colonel, un major et soixante hommes sautent en l’air, sous nos yeux : et le Prince et moi, nous en aurions fait autant si le ciel, m’a-t-il dit tout de suite, avec autant de confiance que de dévotion, ne faisoit pas un cas particulier de lui, et ne veilloit pas nuit et jour à sa conservation.

Je suis charmé de cette attention du ciel pour lui, et d’en avoir profité : je souhaite qu’elle dure, car vous savez combien j’aime