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LETTRE IX.


Le 1er  juin 1789.
À mon Quartier-général de Semlin.


J’AUROIS pu vous écrire pendant l’hiver ce que vous ne saviez pas ; et, depuis ce tems-là, ce que vous savez. Mais je n’écris avec plaisir que lorsque j’ai la réponse au bout de quelques heures. À Paris je n’aimois et n’écrivois jamais de l’autre côte des ponts. C’est ainsi que, voguant avec vous sur le Borysthène, séparé de vous par une cloison de taffetas chiné, dans une des superbes galères de ce voyage triomphal et magique, je n’attendois que quelques minutes pour recevoir votre billet du matin.

Une espèce d’armistice, ou plutôt de convention de bonne compagnie, me laisse le tems de donner aux Turcs, dans une superbe tente, turque aussi bien qu’eux, des concerts sur ma rive du Danube. Toute la garnison de Belgrade vient les entendre sur l’autre rive. Ainsi que le Roi d’Espagne qui a fait chanter pendant 40 ans, tous les jours, le même air à Farinelli, je me fais jouer tous les soirs la Cosa rara, qui, comme vous voyez, cesse de l’être ; de très-belles Juives, Arméniennes, Illyriennes