Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supposent des idées ; quand ils en ont, elles sont fines et délicates. Ils ont l’esprit fleuri dans le peu qu’ils disent, ou qu’ils écrivent. Ils sont graves comme les Romains, et ne se donnent pas la peine de rire ni de danser. Les uns et les autres ont des bouffons : Ibrahim Nazir, que nous avons chassé de la Moldavie, avoit cinq ou six esclaves fort jolis, habillés superbement, et montant à cheval avec lui. Les Turcs m’ont expliqué qu’il leur étoit agréable de ne voir en se réveillant que de belles figures destinées à leur porter leur café, leur pipe, leur sorbet, leur bois d’aloès à brûler, leurs parfums d’ambre et leurs essences de rose. Ils se moquent de nous, de ce qu’un vilain frotteur, ou un vieux domestique de confiance vient faire le feu, ou ouvrir nos rideaux. Ils sont sans cesse couchés comme les Romains, qui (je n’en doute pas) avoient, de même que les Turcs, des divans où ils mangeoient, et se reposoient toute la journée. Les tuniques et les pantoufles prouvent que ces deux nations n’aimoient pas la promenade. Il n’y a rien de si emporté et de si colère que les gens froids et phlegmatiques. Les Turcs, comme les Romains, surtout ceux d’aujourd’hui, font cas de la vengeance : à cela près, ils sont doux. Ils ne disputent, ni ne se querellent jamais. Si le