Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/323

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Si l’on vouloil examiner la légèreté d’Éleonore, combien on y trouveroit de délicatesse ! C’est souvent un essai contre sa propre sensibilité, ou bien une ressource contre l’insensibilité des autres. Elle essaie de glisser sur les idées qui nous saisissent avec trop de force, pour qu’on ne craigne pas de s’y arrêter : c’est quelquefois une manière de mettre à l’aise la reconnoissance, en dissimulant la générosité. C’est encore un moven de sauver à certaines personnes l’embarras que leur cause l’inégalité des rangs et des esprits. C’est enfin une sauvegarde pour le cœur. La légèreté échappe aux sentimens trop vifs, ou du moins feint d’y échapper. La pudeur ne prête qu’un voile ; la légèreté semble donner des ailes.

Mais c’est surtout dans la conversation que cette légèreté a tout son charme. Éléonore vous fait passer si bien d’un sujet à l’autre ! elle vous promène comme dans un jardin anglois où l’on ne revient jamais par le même chemin, où l’on croit toujours voir des objets nouveaux. Son imagination, simple et animée, vous les présente comme un tableau mouvant ; on les voit, ils existent, ils marchent. Elle communique ses impressions aussi vivement qu’elle les a reçues : pour conter aussi bien, il faut aussi bien sentir.