Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le regard d’Élëonore va droit au fond de l’ame cliercher les sentimens qui vouloient s’y cacher, et qui sont bien surpris d’être aperçus : aussi les méchans la craignent-ils comme si elle n’étoit pas bonne. Cette sorte de divination s’étend aussi sur les choses : elle les juge, elle les prévoit, elle les pressent ; et les Gaulois eussent adore Éléonore aussi, pour sa faculté de prédire.

L’imagination, qui est en elle le résultat de la sensibilité, lui donne une espèce de superstition très-aimable, car la superstition est une crédulité qui vient du cœur. Éléonore s’y laisse aller comme à tous ses sentimens, car aucun n’eut jamais besoin d’être retenu ni réfléchi. Voilà d’où provient la facilité de ses manières et de sa conversation. Elle ne sait jamais ce qu’elle doit dire, et l’on se laisse entraîner au charme imprévu de sa douce causerie, comme dans une légère nacelle au cours sinueux d’une belle rivière. On ne sait pas plus où l’on va qu’elle ne sait où elle vous mène. Elle s’interrompt, elle se trompe, elle se reprend : son peu de mémoire contribue à l’originalité de ses entretiens ; jamais elle ne se répète, pas plus qu’un oiseau ne redit la même chanson. L’expression propre et piquante vient toujours se placer d’elle-même dans ses récits.