Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poids de la reconnoissance quand on a pour bienfaiteurs des gens qu’on ne peut aimer ni estimer. Cela parut lai faire plaisir. Je me rabattis ensuite sur l’autre extrémité à craindre, l’ingratitude. Il partit comme un trait, me fit les plus beaux manifestes du monde, qu’il entremêla de quelques petites maximes sophistiques, que je m’étois attirées, en lui disant : — Si cependant M. Hume a été de bonne foi… ? Il me demanda si je le connoissois. Je lui dis que j’avois eu une conversation très-vive avec lui à son sujet, et que la crainte d’être injuste m’arrétoit presque toujours dans mes jugemens.

Sa vilaine femme, ou servante, nous interrompoit quelquefois par quelques questions saugrenues qu’elle faisoit sur son linge, ou sur la soupe. Il lui repondit avec douceur, et auroit ennobli un morceau de fromage, s’il en avoit parlé. Je ne m’aperçus pas qu’il se méfiât de moi le moins du monde. A la vérité, je l’avois tenu bien en haleine depuis que j’entrai chez lui, pour ne pas lui donner le tems de réfléchir sur ma visite. J’y mis fin malgré moi, et, après un silence de vénération, en regardant encore entre les deux yeux l’auteur de la Nouvelle Héloïse ; je quittai le galetas, séjour des rats, mais sanctuaire du génie. Il se leva, me reconduisit avec une sorte d’intérêt, et ne me demanda pas mon nom.