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Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/69

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LETTRE IV.

De Barczisarai, ce 1 juin 1787.


JE comptois élever mon ame, en arrivant dans la Tauride, par les grandes choses vraies et fausses qui s’y sont passées. Mon esprit étoit prêt à se tourner vers l’héroïque avec Mithridate, le fabuleux avec Iphigénie, le militaire avec les Romains, les beaux-arts avec les Grecs, le brigandage avec les Tartares, et le mercantile avec des Génois. Tous ces gens-là me sont assez familiers : mais en voici bien d’un autre, vraiment ; ils ont tous disparu pour les Mille et une nuits. Je suis dans le Harem du dernier Kan de Crimée, qui a eu bien tort de lever son camp et d’abandonner, il y a quatre ans, aux Russes, le plus beau pays du monde. Le sort m’a destiné la chambre de la plus jolie de ses sultanes, et à Ségur celle du premier de ses eunuques noirs. Ma maudite imagination ne veut pas se rider ; elle est fraîche, rose et ronde comme les joues de madame la marquise. Il y a dans notre palais, qui tient du Maure, de l’Arabe, du Chinois et du Turc, des fontaines, des petits jardins, des peintures, de