Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/90

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céleste, digne enfin de mon culte, et qui fixera pour toujours ma carrière. Il me semble que l’avenir avoit envie de se dévoiler à moi. L’exaltation et l’enthousiasme tiennent de si près au pouvoir de rendre des oracles !

Ainsi se peignoit dans ma mémoire le tableau de mes amours passés, présens et futurs. Hélas ! que ne puis-je de même me retracer les souvenirs de l’amitié ? J’ai des amis plus qu’un autre, parce que n’ayant des prétentions à rien dans aucun genre, mon histoire n’a rien d’extraordinaire, ni mon mérite rien d’alarmant. Je rencontre partout de ces amis de société avec qui l’on soupe et l’on joue toute }a journée ; mais en ai-je trouvé qui se soit assez occupé de moi pour que je lui aie de l’obligation ? Je meurs d’envie d’en avoir aux autres ; ils m’en ont eu quelquefois, et quoiqu’ils l’aient peu senti, j’ai encore le plaisir de faire de tems en tems des ingrats. La peur de l’être moi-même me fait préférer souvent l’excès contraire. Et un peu de duperie dans ce genre me paroît pardonnable. Sans pleurer sur l’humanité, sans aimer ni haïr trop les hommes, puisque haïr est fatiguant, je ne suis pas plus content d’eux que je ne le suis de moi. Mais en m’examinant, je ne me trouve qu’une bonne qualité, c’est d’être bien aise du bien qui arrive aux autres.