Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/89

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parfaite, et que dès qu’un Empire ne s’élève plus, il diminue : de même que le jour qu’on n’aime pas davantage, on aime moins. Aimer ! Quel mot ai-je prononcé ? Je fonds en larmes sans savoir pourquoi ; mais que ces larmes sont douces ; c’est un attendrissement général ; c’est un épanchement de sensibilité, sans en pouvoir fixer l’objet. Dans ce moment où tant d’idées se croisent à la fois, je pleure sans être malheureux ; mais, hélas ! me dis-je, en m’adressant à quelques personnes auxquelles je pense souvent : peut-être suis-je triste, peut-être l’êtes-vous aussi, d’être séparées de moi par des mers, par des déserts, des remords, des parens, des importuns et des préjugés. Peut-être suis-je triste pour vous, qui m’avez aimé sans me le dire, et que j’ai quittées faute de le deviner ? Peut-être le suis-je pour vous, esclaves superstitieuses de tant de devoirs ? L’amour des vers et des champs, nos lectures, nos promenades, mille rapports secrets nous avoient réunis sans nous en douter.

Mes larmes ne tarissent pas. Est-ce le pressentiment de quelque perte déchirante que je dois éprouver un jour ? J’éloigne cette idée affreuse ; je prie Dieu, et je me dis : cette mélancolie vague, telle qu’on la ressent dans la jeunesse, m’annonce peut-être un objet