Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oublier des soldats qui avec quelque plaisir pourroient entendre encore la voix de leur Vizir. Sans regret pour le passé, ni crainte pour l’avenir, je laisse aller mon existence au courant de ma destinée.

Après m’être bien moqué de mon peu de mérite et de mes aventures de cour et d’armée, je m’applaudis de n’être pas encore pire ; je me félicitai surtout du grand talent de tirer parti de tout pour mon bonheur.

Je me jugeois, je me voyois ainsi tel que je suis dans cette vaste mer, qui réfléchissoit mon ame comme une glace réfléchit les traits du visage. Déjà les voiles de la nuit commencent à obscurcir le jour : le soleil est attendu sur l’horizon de l’autre hémisphère. Les moutons qui paissent auprès de mon tapis de Turquie appellent les Tartares, qui descendent gravement de leur toit, pour les enfermer à côté de leurs femmes qu’ils ont tenues cachées tout le long du jour. Les crieurs appellent à la mosquée du haut de leurs minarets. Je cherche de la main gauche la barbe que je n’ai pas ; j’appuie ma main droite sur mon sein, je bénis les paresseux et je prends congé d’eux, en les laissant aussi étonnés de me voir leur maître que d’apprendre que je voulois qu’ils fussent toujours le leur.