Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 204 —


dans un homme ordinaire, et c’est cette dissipation qui fait votre mal, c’est elle qui a causé votre dégoût. Il ne s’agit que de réveiller votre appétit malade par quelques mets succulents, et je n’en connais pas de meilleur qu’une dévote.

Je ne pus m’empêcher d’éclater du ton flegmatique dont sa Révérence m’enseignait un pareil secret.

— Comment donc, reprit-il, je vous parle très sérieusement. Ce n’est point ici un paradoxe que je vous avance. Tudieu ! je vois bien que vous êtes encore jeune : vous ne connaissez pas les dévotes ; vous ne savez pas qu’elles ont des ressources infaillibles pour rallumer les chaleurs éteintes. Elles possèdent l’art de se faire contenter par l’homme du tempérament le plus usé. Elles savent tirer parti de tout. Je l’ai éprouvé, moi qui vous parle. Oui, mon fils, j’en ai foutu, et plus d’une ! Temps heureux, où je faisais retentir les voûtes du couvent en frappant avec mon vit, hélas ! qu’êtes-vous devenu ? On ne parle plus du vigoureux Père Siméon ; ce n’est plus qu’un vieillard cassé, son sang est glacé dans ses veines, sa voix est tremblante, la respiration lui manque, ses jambes lui refusent leur secours, ses couilles sont sèches, son vit est disparu… Tout meurt !

J’avais toutes les envies du monde d’éclater aux exclamations originales du vénérable Père Siméon, mais la crainte de l’indisposer de nouveau me retint.

— Ô mon fils, poursuivit-il, vous êtes encore dans cet âge heureux fait pour les plaisirs. Profitez-en. J’en ai profité, mais il n’est plus temps d’y penser, un soin plus important doit m’occuper à présent, c’est celui de la vie éternelle. Je ne refuse pourtant pas mes avis à ceux qui, comme vous, peuvent en avoir besoin. On est