voit jonché de fleurs la route du précipice,
où j’allois m’abîmer ; mais
quand je fus arrivée ſur le bord, quand
j’eus porté les yeux ſur ſa profondeur,
elle m’effraya, je reculai, étonnée, &
rougiſſant de mon peu de courage,
je voulus vaincre ma timidité, je voulus
étouffer ma raiſon, elle triompha,
je cédai, je rentrai, mes larmes coulerent
alors en abondance ; indignée
de ma lâcheté, je faiſois de nouveaux
efforts, je m’encourageois, & je m’éfrayois ;
mon ame étoit dans un accablement
qui ne peut être comparé qu’à
celui que je prouvai hier. Cependant
l’heure avançoit, il falloit me déterminer ;
Quel parti prendre ? Helas !
j’étois dans un déſeſpoir ſtupide, qui
m’ôtoit juſqu’à la liberté de penſer. Un
rayon de lumiére m’éclaira dans le moment,
& me rendit toute ma tranquilité ;
je vis un moyen d’être à mon
amant, & de tirer de ma mere une
vengeance qui ne laiſſeroit rien à deſirer
à mon cœur. Helas ! à quoi m’a
ſervi tant de prudence ? à me plonger
dans l’abîme où je craignois de tomber.
Peut-être aurois-je été plus heureuſe
dans une terre étrangere, où,
toute à moi-même, n’ayant pour gui-
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